Il y a 10 jours, deux des plus grands traileurs au monde, Killian Jornet et Zach Miller, ont envoyé un e-mail à des centaines d’autres athlètes pour leur suggérer de boycotter la grande messe du trail, l’Ultra-Trail du Mont-Blanc. En cause, le développement sans commune mesure de l’événement, qui s’inscrit dans une marchandisation totale du trail-running et qui va donc à rebours de ses valeurs initiales.

Alors que le changement climatique se fait chaque année davantage sentir, le monde du sport en montagne est sous pression.

L’appel à boycotter l’UTMB et le débat qu’il pose est, selon moi, totalement sain.

Ce qu’est vraiment l’UTMB

Redonnons un peu de contexte sur l’“organisation” UTMB :

  • L’UTMB fait partie d’un groupe dont un des actionnaires est IronMan Group. On connaît l’engouement pour ces événements qui se déroulent à travers le monde entier et poussent les sportifs passionnés à voyager à l’autre bout de la planète pour participer à une compétition. L’empreinte carbone d’un IronMan n’est pas négligeable.
  • L’UTMB est sponsorisé par Dacia depuis 2023. Associer une marque de voiture – dont l’impact carbone est certainement ce qu’il y a de pire – à la pratique d’un sport “minimaliste” qui consiste à parcourir des sentiers de montagne en marchant/courant… c’est cocasse. Il est vraiment facile de démontrer l’incohérence du partenariat, mais s’il fallait le rappeler une nouvelle fois : ce qui pollue le plus lorsqu’on pratique du sport en montagne, ce sont les transports. C’est valable quand on va au ski ou quand on part faire de la randonnée (je ne dis pas que le trail n’a pas d’impact).
Contrairement aux sports de compétition réservés aux professionnels, avec des qualifications ou sélections officielles, certaines compétitions de trail-running et le triathlon ont la particularité d'être “ouvertes” aux amateurs et amatrices. Les services marketing de ces gros événements l’ont bien compris et laissent infuser l’idée que la performance sportive est à la portée de tous. Un peu comme si, chacun ou chacune, avait la possibilité de participer à une coupe du monde de football. Ce rêve devient alors accessible. 

Dans la réalité, ces événements sont totalement élitistes. Le prix des inscriptions dépassent souvent les 300€, l’équipement et la préparation nécessitent de l'argent et du temps. Pour participer à ces événements, il faut pouvoir y aller, s’y loger, etc. Aussi, ces événements posent la question de l’accessibilité aux pratiques outdoor en montagne. 

Comme le démontre parfaitement cet épisode du podcast Vent Debout, les sports outdoor sont généralement pratiqués par des personnes blanches et aisées. ⤵️

Boycotter l’UTMB, le pavé dans la marre de Killian Jornet et Zach Miller !

Jornet et Miller appellent donc leurs collègues au boycott de l’UTMB, il fallait le faire. Sacré culot.

On pourrait bien entendu, comme beaucoup l’ont fait jusqu’à maintenant, critiquer l’action, l’intention des deux traileurs qui ont eux-mêmes, et jusqu’à très récemment, profité de cet événement pour faire décoller leur carrière, obtenir des sponspors etc.

Mais l’enjeu ici me semble plus grand.

D’une part, la pureté militante n’existe pas. On alimente tous un système caduc d’une manière ou d’une autre, car il est très difficile de s’en extraire. Mais, pour autant, cela ne doit pas nous interdire de le remettre en question.

Mais, d’autre part, Killian Jornet et Zach Miller ont le mérite de poser les bases d’un débat sain au sujet d’une pratique sportive dont la croissance exponentielle ne fait que la mettre en sursis. Purement et simplement.

Donc, mieux vaut tard que jamais.

En posant le débat dans des termes totalement en adéquation avec le contexte environnemental & sportif, les deux traileurs professionnels prennent des risques. Celui de ne pas être suivis car leurs amis traileurs ont eux aussi des partenariats, des engagements à tenir ; et comme souvent, le respect des valeurs passent après l’argent.

Finalement, Killian et Zach offrent une opportunité en or au monde du trail (et plus largement du sport) : Celle de rejoindre un mouvement de fond qui vise à remettre en question les compétitions sportives internationales. Pour que nous puissions demain continuer de profiter de la nature, de la montagne en conscience et dans le respect des limites planétaires.

Changer les récits du sport de montagne

Ce qui se joue avec l’appel au boycott de la grande messe du trail, c’est quelque chose de grand et de fort. Ce qui se trame ici c’est la construction d’un nouveau récit. Et des nouveaux récits nous en aurons besoin pour faire comprendre que nos pratiques sportives, notamment en compétition, ne sont plus alignées avec le monde tel qu’il est et sera dans les décennies qui viennent.

Nous sommes aujourd’hui à un carrefour des récits.

Il y a ceux qui pensent que tout peut continuer comme avant et ceux qui pensent qu’il est temps que les choses changent.

Personnellement, je crois au deuxième récit.

Pourquoi ?

Car ce n’est qu’avec ce récit qu’on pourra, sur le long terme, continuer à profiter des espaces naturels, de la montagne et des pratiques sportives qui nous donnent tant d’émotions.

Changer de récit doit nécessairement s’accompagner de changement de pratiques. Et par leur appel au boycott, Killian et Zach rejoignent ces sportifs militants qui ont décidé de changer les choses en profondeur :

PS : ici, on se parle de trail-running, un microcosme dans l’univers du sport. Imaginez un instant que Kylian (cette fois) demandent à ses pairs de boycotter la prochaine coupe du monde de football. Imaginez seulement l’impact d’une telle prise de parole.


Comme je l’ai déjà dit dans certains de mes articles de blog (ici, notamment), je réfléchis beaucoup à ma pratique sportive. Sentir que des mastodons du trail-running prennent position et parlent des sujets que je tente également de défendre me donnent l’impression d’être moins seuls et plus légitimes à en parler. Let’s go!