Depuis ce début d’année 2025, la vie a décidé d’accélérer un peu plus. Enfin la vie… nos vies.

Ces derniers jours particulièrement, l’IA est partout et sur toutes les bouches. Au café du coin, j’entends un soixantenaire parler de ChatGPT. J’ouvre LinkedIn et les posts sur l’IA s’enchaînent sur mon fil d’actualité sans fin. Je discute avec des amis : ils trouvent ça génial ou s’en inquiètent. Sur les réseaux sociaux, certains partagent des astuces pour gagner en productivité ou créer plus d’interactivité avec leurs clients ou audience.

Le Sommet de l’Intelligence Artificielle organisé à la hâte sous l’impulsion d’Emmanuel Macron est un marqueur d’une société toujours en quête de performance, de vitesse et de productivité.

“Vite, vite, le train démarre. Quoi ? Tu n’as pas ton billet ? Désolé, tu restes à quai. C’est trop tard. Au revoir.”

Rater le train de l’IA dans le système qu’est (toujours) le nôtre revient à perdre des futurs points de croissance. Et ça, en 2025, c’est (encore) plus que jamais impossible pour les entreprises et les politiques. On en revient toujours aux mêmes référentiels. Créer, produire vite, gagner des parts de marché, générer plus de valeur monétaire, gagner des points de PIB. Bref, le capitalisme.

Or, on sait pertinemment aujourd’hui que le capitalisme ne nous rend plus heureux. Que la croissance acharnée est vaine et qu’elle n’est pas un modèle soutenable – malgré le fait qu’elle ait permis à des milliards de personnes de vivre mieux et plus longtemps.

L’IA n’est en réalité qu’un nouvel outil du capitalisme, qu’un objet brillant supplémentaire autour duquel les uns et les autres se focalisent et prophétisent, réduisant chaque jour un peu plus notre perception et relation au monde, tel qu’il est, c’est-à-dire : vivant.

Comme le disait sur France 5 le philosophe Gaspard Koenig il y a quelques jours, “Je suis irrité de voir cette béatitude universelle sur l’IA. Ça reflète l’obsession de nos élites pour l’intelligence (…) Je crains que ça nous empêche de voir le vivant et que cela accélère l’effondrement de l’humanité.”

Et en effet, même si tout n’est pas perdu, il se dessine un chemin glaçant sous nos yeux.

Celui d’un monde qui porte une attention démesurée sur des technologies détenues par quelques oligarques.

Celui d’un monde qui nous fait, peu à peu, perdre nos repères, nos sensibilités, nos attentions aux autres et aux vivants.

Celui d’un monde qui nous fait oublier l’interdépendance du monde dans lequel on vit.

On ne survivra pas avec l’IA.

On survivra avec le vivant.

En vantant les mérites que l’IA peut avoir, on passe à côté de la question.

Comme Aurélien Barrau le dit si bien : “Le point nodal serait quand même de se demander ce que nous souhaitons.” Et ça personne ne le sait vraiment. Enfin plutôt, personne ne se pose réellement la question. Car on dirige, par exemple, notre énergie à diagnostiquer plus rapidement les cancers plutôt qu’à les faire diminuer.

Cette obstination pour la technologie nous met hors sol.

En dehors du sol. En dehors du vivant. En dehors de nous-même.

À tel point qu’on en oublie les principaux enjeux, qui sont pourtant colossaux : le changement climatique, la menace violente sur la biodiversité, la fonte des glaciers, les polluants éternels, la pollution atmosphérique, l’agriculture intensive et tant d’autres défis…

Quand on aura tout saccagé, l’IA viendra-t-elle à notre secours ? Quand il n’y aura plus de vie, l’IA nous permettra-t-elle de survivre ? De respirer ?

Je ne nie pas les enjeux politiques et géopolitiques que représentent l’IA dans un monde où les turbulences sont nombreuses. Mais le mirage est inquiétant. Celui d’un chemin où l’on s’oublie définitivement en continuant à regarder le doigt quand le sage nous montre la lune. Cela fera-t-il de nous des idiots ? C’est à nous d’en décider, si on ne souhaite pas que notre intelligence (artificielle) nous perde définitivement.