En octobre 2022, je quitte Paris avec l’idée de faire un tour d’Europe en m’installant entre 1 et 3 mois dans différentes villes du vieux continent. J’ai la chance de pouvoir travailler complètement à distance alors pourquoi s’en priver ? C’est donc totalement cliché mais me voilà “digital nomad”. Sauf qu’un “digital nomad”, ça pollue. Ça pollue même beaucoup.
Je le savais pertinemment avant de partir, mais je suis quand même parti. Seulement, 9 mois plus tard, je suis rentré. Non pas parce que je m’ennuyais mais parce que ma dissonance cognitive était devenue trop grande : je savais que ce que je faisais n’était ni aligné avec mes valeurs profondes, ni aligné avec l’urgence climatique dans laquelle on se situe. Durant ces 9 neufs mois – géniaux au demeurant – j’ai vu les conséquences du dérèglement climatique s’accélérer sous mes yeux et observé un monde qui ne me ressemble plus vraiment, ni me donne envie.
En écrivant ce récit de voyage, j’espère pouvoir raisonner, inspirer ou simplement faire réfléchir celles et ceux qui valorisent socialement le “digital nomadism”, les city-breaks ou tout autre voyage minute à l’autre bout du continent ou du monde, car s’il y a bien une chose sur laquelle on a la main, c’est nos mobilités (surtout quand on travaille 100% à distance).
⚠️ Attention, je ne dis pas qu’il ne faut s’interdire des virées à droite à gauche. Je dis simplement qu’on devrait se questionner sur la manière avec laquelle on considère nos déplacements (notamment le choix de nos modes de transport) et le rapport aux lieux que l’on occupe.
Barcelone : le temps de la prise de recul
Il faut être honnête Barcelone en octobre, c’est tout doux. Je vivote entre le travail en co-working, le vermouth en terrasse et les trails dans les collines de Montjuïc. La vie est belle, j’ai quitté la grisaille parisienne et je profite pour parler l’espagnol, que j’aime tant.
Je re-découvre le temps, car en quittant Paris, j’ai délaissé un tissu social considérable et tout ce qui va avec : les rendez-vous minutes, les week-ends surchargés. Bref, je re-prends le contrôle du temps dont je dispose et je me re-mets à lire. Ça tombe bien, en plus, je viens de me faire offrir le bouquin de Jancovici “Le monde sans fin” et le livre de Vincent Dubail “Kit pour voyager en Écotopie”. Je plonge donc à nouveaux dans des réflexions profondes en lien avec le changement climatique, le vivant, la biodiversité, la justice sociale, sujets auxquels je m’intéresse particulièrement depuis 2018 – j’en reparlerai.
Et très vite, je commence à “bloquer”. La dissonance cognitive est grandissante et je me demande si ce voyage est une bonne idée pour toutes les raisons qu’on peut imaginer : je vis dans un Airbnb que très peu d’espagnols peuvent s’offrir. Je commence à faire des aller-retours à Paris pour 2 jours. Bref, malgré une superbe vibe à Barcelone, c’est une belle remise en question.
Lisbonne : La goutte qui fait déborder le vase
À peine arrivé à Lisbonne début 2023, deuxième destination de mon périple, je découvre une ville-parc d’attraction : chaque vendredi soir des touristes arrivent par centaines (en avion bien-sûr) de partout en Europe et dévalent les rues pavées de la ville pour un “city-break” bien rôdé (visite, resto, fiesta, brunch & pastei de nata) et repartent aussitôt le dimanche soir. Et ça, littéralement toutes les semaines.
On se croirait dans un manège qui tourne sur lui-même sans jamais s’arrêter. Bref, on se croirait partout, sauf au Portugal. D’ailleurs, on entend plus parler anglais ou français que portugais.
Et c’est là le vrai désastre : les portugais ont déserté le centre ville de Lisbonne.
Non seulement la capitale portugaise s’est transformée en un parc à logements Airbnb (Lisbonne est la ville d’Europe qui compte le plus grand nombre de logements touristiques sur Airbnb) mais en plus, les prix locatifs ont littéralement explosé (+53% à Lisbonne depuis 2017, selon Idealista). En lisant l’article d’une portugaise, j’ai compris l’origine de la problématique économique liée au tourisme et au logement, qui est principalement due à des choix… politiques. Si jamais cela vous intéresse, l’article est là (en anglais).
Bref ce séjour s’est transformé en cas de conscience. Je ne voulais plus voir un tel désastre écologique et social se dérouler sous mes yeux. Pire, j’ai commencé à me dire qu’il fallait dénoncer ça. Ça, quoi ? Ça, le tourisme de masse, les courts séjours, la valorisation de l’avion via les réseaux sociaux, la fast-life et le consumérisme de biens et d’expériences. Je ne voulais pas (plus) cautionner ça. Dès ce moment là, j’ai commencé à organiser mon retour en France. En parallèle, je me suis remis à écrire et je me suis formé à La Fresque du Climat en me disant que c’est en comprenant les enjeux qu’on pourrait agir. J’étais déterminé à montrer les impacts concrets des activités humaines sur le climat. Les impacts de nos activités quotidiennes, du lieu où l’on vit, de nos déplacements, de nos expériences.
Itinéraire bis, le voyage de demain
J’ai toujours été persuadé que les imaginaires et les récits qui transpirent via nos medium ont une influence sur notre perception du monde. On n’a plus besoin de démontrer l’impact des réseaux sociaux sur notre rapport à soi ou à l’autre. Pourtant, on questionne moins les mêmes mécanismes qui sont à l’oeuvre avec le voyage (les choses changent petit à petit cependant). La story d’une plage paradisiaque suivant celle du hall d’un aéroport parisien sous la pluie avec la mention “bye bye” ou la vidéo qui montre le décollage d’un avion dont le tarmac bétonné de Beauvais est tout aussi gris que celui de Séville. Le voyage s’est industrialisé, homogénéisé et standardisé jusque dans ses représentations numériques.
Avec toutes ces réflexions, j’étais heureux de découvrir l’initiative Itinéraire Bis, une coalition de 40 créateurs et créatrices qui, avec le soutien d’experts et d’ONG, ont décidé de faire changer les imaginaires & représentations médiatiques du voyage.
Trois piliers d’action concret animent Itinéraire Bis. Ils invitent ainsi chaque média, influenceurs ou tout autre organisation médiatique à :
- Accélérer la décarbonation des transports en cessant d’inciter à prendre l’avion pour de courtes distances ou de courts séjours, ainsi qu’en montrant, racontant, valorisant le train (de nuit), le bus, le vélo, ou encore le co-voiturage.
- Informer pour mieux protéger nos espaces naturels en se renseignant auprès des acteurs de la préservation (ONF, associations de protection, PNR..etc) et en expliquant clairement à nos audiences les fragilités et les règles de conduite spécifiques à chaque territoire.
- Prendre part à une gestion des flux touristiques intelligente et juste en valorisant l’ensemble des territoires pour mieux répartir les flux humains et économiques, et éviter d’entretenir une France à deux vitesses entre les territoires réputés, et ceux oubliés.
Une image vaut mille mots. Dans leur photothèque, Itinéraires Bis proposent des visuels qui donnent envie de partir à l’aventure mais qui redéfinissent l’esthétique et l’imaginaire du voyage.




Une anecdote pour finir : quand j’étais au Québec, il y a 10 ans, j’ai demandé à ma colocataire si elle connaissait la Gaspésie (une région du Québec). Elle m’a répondu quelque chose qui m’est toujours resté : “Non, je n’y suis jamais allé. D’ailleurs, je me rends compte que je connais mieux l’autre côté du globe que ma propre province…”
La prochaine fois que vous planifierez un voyage, demandez-vous si l’expérience que vous vivrez là-bas ne peut pas être aussi forte ici, à côté ; demandez-vous pourquoi vous souhaitez y aller. Est-ce pour cocher une case de votre liste de voyage ou pour une autre raison. Enfin, demandez-vous s’il n’existe pas une alternative moins émettrice en CO2 (comme le train, quitte à faire le voyage en quelques étapes).
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